« Pratiquement contemporain de la désignation de « tiers monde », le bidonville émerge comme une catégorie majeure d'analyse des dynamiques urbaines dans des régions décrites comme « en retard » et moins urbanisées. Les critères de définition du bidonville sont essentiellement fondés sur le statut foncier et sur le type de construction bien que la diversité des situations soit soulignée en même temps que le caractère générique de quartier. Les descriptions fouillées et statistiques qui prévalent dans le tableau de cette urbanisation « sauvage » ou « spontanée » inscrivent les travaux de recherche dans une volonté d'objectivation du phénomène. L'approche est majoritairement surplombante et normative, mobilisant souvent des références à l'épisode européen de forte croissance urbaine du 19ème siècle. Dans le même temps, le bidonville est implicitement présenté comme une négation de ville, comme un quartier dont la suppression s'impose comme une évidence. Jugement de valeur aisément décelable dans cette science positive, à associer à la norme urbanistique et urbaine directement issue des codes d'urbanisme des grandes institutions internationales, c'est-à-dire d'Europe. A tel point que l'application de cette norme identifie la grande majorité des habitats produits dans les villes du Tiers monde comme appartenant à la catégorie « informelle ». La posture de recherche témoigne alors à la fois du catastrophisme par excès de zèle normatif et d’une illusion angélique que les bons plans d'aménagement fourniront une solution au problème.

Comment donc échapper, d'une part à l'illusion positiviste pour faire entrer la société dans la compréhension du phénomène autrement que par cette extériorité? Une hypothèse le permet : le bidonville est produit par le fonctionnement d'ensemble de la société dans une configuration spatiale appelée ville (les mêmes constructions en zone rurale ne sont ni désignées comme bidonvilles, ni stigmatisées). Ce n'est donc pas la forme « ville » qui est productrice du bidonville mais la projection normative des observateurs sur une production sociale jugée plus que comprise. La conséquence de cette hypothèse pose le bidonville comme un habitat urbain « normal », un quartier de la ville. L'objet et ses habitants sont même courtisés par de nombreux acteurs (associations, ONG, partis politiques, services municipaux...) qui tous ont besoin du bidonville et de ses habitants.

Restituer cette position, c'est proposer une expertise scientifique militante juste à l'amont de l'implication et de l'action. Cette expertise consiste à rester sur le terrain scientifique en dénonçant les illusions du choix épistémologique en surplomb et la croyance dans l'objectivation par le nombre et les catégories...Mais cette expertise consiste aussi à proposer la reformulation du problème « bidonville » avec pour option militante le choix de placer les faits sociaux, culturels et politiques au centre, y compris en prenant les valeurs exprimées comme des faits. C'est là que s'arrête la contribution scientifique juste avant l'implication voire l'action. Chez les experts positivistes, l'implication va jusqu'à la la formulation de recommandations, jusqu'à la contribution directe aux programmes.

Du point de vue de la discipline scientifique, pousser à la révision épistémologique est déjà un acte militant, contribuant à réviser l'espace de représentation qui est le véritable objet en jeu. »