Nous nous attacherons à documenter, avec ses habitants, cet habitat en milieu rural produit par le chantier de l’EPR, en réalisant un ou plusieurs films documentaires qui tisseront des liens avec les films réalisés en Russie dans le cadre du programme Makhnovtchina.



Les bases vie. Ou la java de l’infrastructure

Le territoire rural a changé de nature, c’est désormais un territoire urbanisé. La modification majeure dans le paysage du Cotentin aux alentours de Flamanville est produit par le chantier infrastructurel (EPR). Alors que les formes mobiles de l’habitat et plus largement de la ville sont réputées incompatibles avec la ville planifiée, elles sont cependant nécessaires voire souhaitées lors de travaux infrastructurels pour loger la main d’œuvre au plus près du chantier. Dans la mégapole moscovite, ce sont de véritables cités de containers abritant la main d’œuvre centre asiatique qui sont montées et démontées aux gré des transformations urbaines. L’occurrence contemporaine de ces logements ouvriers mobiles est en Normandie l’ensemble des bases vie destinées aux ouvriers de l’EPR à Flamanville et alentours. Sorte de camping, dérogeant en vertu des permis précaires aux règles d’urbanisme, elles dérogent aussi au droit commun du logement et rattachent la question du logement à celle du salariat, lien brisé dès l’après-guerre par le code du travail. Comme à Moscou, il s’agit d’enclaves « économiques spéciales » ou dérégulées accueillant travailleurs français comme travailleurs détachés. Ici le rôle de contremaître se confond aussi souvent avec celui de concierge ou d’applicateur du règlement intérieur. Des sociabilités, détournements et modes de vie subsistent et résistent pourtant. Au delà c’est l’environnement (la ville stable et cadastrée) qui est impacté. C’est, après avoir commencé un travail de recherche à Moscou (sur l’ensemble de la filière allant de la fabrication des containers à leur dépôts), ce que nous désirons réitérer ici : Dresser le portrait de la ville du monstre-ouvrier-forain dont la figure se confond malgré lui avec son habitat. Nous nous attacherons en outre, comme nous l’avons fait à Dieppe, à explorer en collaboration avec le CAUE 50 les occurrences historiques du logement mobile dans cette zone, du logement des mineurs, aux cités de transit, en passant par les « chalets suédois » et les logements provisoires de la reconstruction. En somme inscrire dans une histoire tue et clandestine ce mode de ville en milieu rural.

Le monstre

Dans son article De 1895 à 1912 : Le cinéma forain français entre innovation et répression publié par la revue de cinéma 1895, Arnaud Le Marchand, économiste à l’Université du Havre, exhumait un extrait d’un article publié dans le journal L’Inter Forain au début du siècle « le cinéma demeure le plus beau monstre de la foire ». Par là l’auteur entendait d’une part le merveilleux mais aussi ce qu’on mon(s)tre pour la prouesse technique et ingénierie qu’il représente. C’est sous ce prisme que nous désirons, résolument forains, filmer et dire cette ville autre et souvent fantasmée que les mots des marchands de murs ne peuvent embrasser. C’est aussi l’angle distancié et critique qui permet de faire sentir ces ambiguïtés mais aussi associer ceux qui la peuplent à la création.

C'est au bar la Forgette puis dans une de ces bases vie que nous avons déjà rencontré des ouvriers du chantier de l'EPR.
Vous pouvez lire les comptes-rendus de ces rencontres ICI et .