Au chapitre des économies d’énergie, si nous sommes loin d’avoir atteint la sacro-sainte neutralité carbone, les cabinets d’architectes et d’urbanistes, en revanche, semblent économiser la leur, au point qu’à des contextes fort différents, ils diagnostiquent les mêmes enjeux, appliquent les mêmes recettes et content les mêmes histoires. Ainsi en est-il des Cabinets Grumbach et Willmotte qui remportaient, il y a une dizaine d’années, le concourt pour le développement du Grand Moscou, après que le premier ait esquissé le futur Grand Paris qui s’étendra jusqu’au Havre – et sous les grues duquel nous vivons.
Passons sur cette tranquille collaboration avec les autorités russes pour laquelle on ne demande visiblement aucun compte à ces architectes. Collaboration que Willmotte poursuivra dans le cadre du très « poutinien » projet de Centre Spirituel et Culturel Orthodoxe Russe de Paris. Mais dans le fond, demande-t-on des comptes aux agences qui établissent des marchés avec les pétromonarchies du Golf ? Ou ailleurs, comme le soulignait Christophe Leray dans l’édito des Chroniques d’architecture de mars 2022 : « L’architecte, son âme, les diables, la morale et la vie de palais ».
Business is business. Le gaz russe n’avait alors pas l’odeur de poudre et les représentations culturelles françaises à Moscou étaient plus désireuses de « vendre de la culture française » que d’y aiguillonner l’esprit critique.
Moscou était alors un marché comme un autre où différents acteurs locaux étaient désireux de voir –
a minima – quelque chose de l’ordre de la réflexion prendre forme autour du développement urbain de la mégalopole russe. Vladimir Poutine était à l’époque fréquentable. Passons.
On peut en revanche continuer à s’interroger sur la proximité des discours portés sur Moscou et sur Paris par les deux brillants architectes. Sur la présence de Grumbach aux premières réunions de préfiguration d’une candidature de Rouen au titre de Capitale européenne de la culture, et sur la capacité de ce dernier à minorer son influence ou son action quand il se plaît à se présenter comme un artiste de Land Art urbain.
Ainsi, le gentil land-artiste raconte tranquillement son histoire de Moscou à Rouen, en passant par Paris. Une histoire avec un fleuve (encore !) et une ville qui se développe autour.
« La proposition des architectes et urbanistes français est bien entendu largement inspirée du Grand Paris pour lequel Antoine Grumbach et Associés ont prévu une grande agglomération Paris-Rouen-Le Havre » souligne Borina Andrieu, de l’agence Willmotte & Associés, dans une interview de la journaliste Carine Logua le 07/09/2012.
Et tout ça, ça crée quoi ? «
La joy of life !!! », cet ADN que le démiurge a extrait de Moscou alors même que les pelleteuses arrachaient les kiosques de marchandises où s’achalandait le petit peuple de Moscou ; que Leroy Merlin et les autres enseignes du groupe Auchan, installaient leurs surfaces commerciales à la périphérie et aux points nodaux du transport urbain pour palier le manque ainsi occasionné. Ensemble de projets souvent corrompus que dénonçait un Alexeï Navalny encore libre.
La collaboratrice précise également que le projet – qui fait la part belle aux espaces verts et aux transports doux – place la Moskova, le fleuve de Moscou, au cœur de la capitale. Et que son importance doit être équivalente à celle de la Seine à Paris ou de la Tamise à Londres : « c'est le fleuve qui fait l'identité de Moscou ».
Une nouvelle ville rendue à la nature. Le Grand Moscou sera ainsi végétalisé à 50% et les transports publics seront favorisés. Autant de points, de plans, d’intentions et de discours que ne sauraient renier les différents projets de développement économique et urbain le long de l’Axe Seine.
À réalités différentes, solutions identiques en somme. Rien de neuf quand on sait que la métropolisation n’est autre que l’avènement d’un espace fluide et indifférencié qui façonne le monde à l’image de ces noms de villes qui s’étalent en parfaite équivalence sur les paquets des enseignes de luxe : PARIS - NEW-YORK - PÉKIN…
Pour ce qui est de la probité politique, nous laissons ces « land-artistes » et autres urbanistes se débrouiller avec leur conscience. Cependant, nous nous interrogeons sur la santé des collectivités territoriales françaises qui ne rechignent pas à faire encore appel à eux.