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LES MANOUCHES DANS L'ESPACE !


Les Manouches dans l'espace !

Le titre vous fait rire ? Tant mieux ! La suite est moins drôle. Depuis l'incendie de lusine Lubrizol à Rouen, en 2019, nous suivons les familles de Voyageurs qui ont été directement impactées par la pollution de l'accident. Ni évacuées, ni confinées, les familles n'ont, à ce jour, toujours pas été relogées. Et l'aire d'accueil, pour le moins indécente, sur laquelle ils étaient condamnés à louer des emplacements n'a été ni déménagée, ni fermée. Libre aux familles de trouver refuge ailleurs. Ailleurs ? Pourquoi pas dans l'espace, seule destination d'où elles ne seraient pas chassées. Destination où nos autorités cadastrées aimeraient peut-être les déporter si elles ne pouvaient plus leur trouver un coin derrière la décharge.

La Lune serait en définitive plus habitable que la Métropole ! Comme dans le film de Fabrizio Boni et Giorgio de Finis, Space Metropoliz, tourné avec les habitants d'une usine squattée de la périphérie de Rome, qui décident d'échapper une fois pour toutes aux forces centrifuges de la ville qui les placent en marge. Pour ce faire, ces Tunisiens, Péruviens, Ukrainiens et Roms construisent une fusée. Direction la Lune !

En attendant, occupons-nous encore un peu de l'ici et maintenant. Voici quelques nouvelles de ces Manouches dans l'espace à Rouen : leurs souhaits, leur vie, leur vision et tout ce qui, à proprement parler, s'ingénie à les empêcher de vivre.

Quelques nouvelles du projet de relogement des Voyageurs sinistrés par lincendie industriel de Lubrizol

De nouvelles aires daccueil et des programmes de logements adaptés dans la Métropole-Rouen-Normandie : ? ? ?

Dites 33 !

L'art du diagnostic ou comment faire dire aux Voyageurs ce que l'on désire entendre.

Suite à l'incendie, un projet de MOUS (Maîtrise d'oeuvre Urbaine et Sociale) a été mis en place par la Métropole. Cet outil du plan départemental pour le logement des personnes défavorisées doit aboutir à un relogement adapté des Voyageurs sinistrés.

Depuis le printemps 2021, Christophe Hubert accompagne pour Échelle Inconnue ces sinistrés et a mis en place une réunion d'information sur l'habitat avec le centre social Relais Accueil Gens Du Voyage.

En novembre 2019, suite à des menaces d'expulsion, nous décidions avec les Voyageurs de l'aire d'accueil de Rouen/Petit-Quevilly et d'autres associations d'entamer des procédures DALO. Avec les familles, nous avons établi un « pré-diagnostic » permettant de dessiner les contours des groupes familiaux en présence. À partir de septembre 2021, c'est caméra au poing que nous les rencontrions, pour rédiger avec eux des demandes de logements sociaux. Ces capsules vidéo doivent accompagner le texte rédigé à la dernière case du formulaire, « précisions complémentaires », et être mises à disposition des instructeurs. Elles permettent aussi de documenter l'absurde. Car ces formulaires, malgré les nouvelles orientations légales, ne sont d'évidence pas destinés à des demandes de logements adaptés mais formatés aux demandes de logements conventionnels de personnes sédentaires. Ainsi, c'est dans les 350 caractères de cette case qu'il convient aux Voyageurs de faire entrer la description de leurs besoins spécifiques, pour ne pas dire faire entrer l'histoire entière d'un mode de vie traditionnel mais totalement ignoré.

Ce n'est qu'en décembre 2021, dans les couloirs d'une rencontre publique que nous organisons autour de la question du logement des Voyageurs, que nous apprenons que l'association SOLIHA (SOLIdaire pour l'HAbitat) vient de remporter le marché public publié en juillet 2021 par la Métropole. Celui-ci consiste en la mise en place d'un diagnostic et d'un accompagnement social dans un « parcours résidentiel vers une solution d'habitat pérenne en terrain familial locatif, en habitat adapté ou autre correspondant à leurs souhaits et besoins. »

Fin février 2022, SOLIHA entame le diagnostic des besoins. Et ne souhaite pas nous consulter avant de l'avoir entamé. C'est donc sur le terrain que nous voyons finalement les membres de l'association, lors de leurs premiers rendez-vous avec les familles que nous connaissons. Ils les rencontrent, reposent les mêmes questions que nous avons déjà posées et que d'autres acteurs leur avaient posées plusieurs années auparavant, sans donner suite. Ils doivent réaliser ces entretiens auprès de 75 à 85 familles de trois aires d'accueil de la métropole. Courant mai, les habitants nous alertent. Ils viennent d'apprendre par les services de la Métropole que, contrairement à leur demande de maison adaptée, on leur propose un terrain familial avec vingt emplacements ouverts à d'autres familles.

En juin, nous en avons la confirmation. Les dizaines de micro-maisons dessinées devant la caméra avec leur emplacement pour la caravane familiale ou celle des invités ne verront pas le jour. Place à ce dispositif que les élus (étrangement) adorent : le terrain familial. Un terrain, un équipement sanitaire et de la place pour des caravanes – mais pas de maison, donc.

D'évidence, les enquêtes de SOLIHA et les nôtres n'aboutissent pas aux mêmes diagnostics. Et celui de SOLIHA vient opportunément confirmer les préconisations du schéma départemental à l'accueil des Gens du Voyage. Rien de véritablement étonnant quand on sait que c'est SOLIHA elle-même qui a, là aussi, établi le diagnostic. En réunion, c'est par de très polis « en effet, nous avons des points de divergence » qu'ils écartent nos objections.

Le travail que nous avons entamé s'est assez vite ouvert à d'autres familles que les seules sinistrées. Sur les 33 familles que nous avons rencontrées sur les aires d'accueil de « l'agglo », seules deux désirent habiter un terrain familial et une un logement HLM conventionnel. Les autres confirment leur désir d'habitat adapté. Ce n'est donc pas seulement sur le diagnostic lié à la MOUS que nous avons « des points de divergence ». C'est plutôt sur l'ensemble des préconisations du schéma pour la Métropole de Rouen que nous avons de sérieux doutes. Doutes dont nous avions fait part, dès le mois d'avril, en réunion publique sur l'habitat adapté à la mairie de Saint-Étienne du Rouvray, à la fois aux élus, à SOLIHA et aux techniciens de la Métropole « en charge des Gens du Voyage ». Doutes qui n'apparaissent étonnement pas sur le compte-rendu de cette réunion.

Quelle mystérieuse technique de consultation des habitants peut aboutir à coup sûr à la confirmation de ce que l'on désire entendre d'eux ? Ou comment l'exercice de diagnostic vient appuyer des décisions déjà prises ?

Un monde de fous

Comment construire un système dans lequel aucune demande ne peut aboutir ?

Le DALO, droit au logement opposable né des luttes des Enfants du Canal, peut par exemple être mobilisé lorsque le demandeur de logement social n'a pas reçu de proposition de logement adapté à ses besoins ou en cas de suroccupation de son logement… Ce qui est le cas de la plupart des familles de Voyageurs que nous rencontrons.

Cependant, pour eux, les choses se compliquent. Le DALO ne peut que « piocher » dans le contingent préfectoral, c'est-à-dire dans les logements HLM que l'État peut réserver. Or, dans ce parc, on ne peut trouver aujourd'hui de logements adaptés aux besoins de ces familles.

Si les familles vont en justice et gagnent, l'État se trouve condamné à verser une astreinte au Fonds National d'Accompagnement Vers le Logement. Ce fonds, créé en 2011, finance des accompagnements vers des logements à attribuer en urgence. En somme, ils auront permis le financement d'un nouvel outil d'accompagnement vers une offre toujours inexistante. Vous suivez ? Ce sont les Voyageurs qui se trouvent indéfiniment condamnés à être accompagnés vers un logement qui n'existe pas. Les textes dont nous disposons ne précisent pas si ces recours vers le néant peuvent être répétés à l'infini.

En tout cas, ceci explique sans doute pourquoi les rares DALO déposés par des Voyageurs dans les départements du Calvados et de l'Eure n'ont abouti à rien.

Après le contrôle technique, la ZFE, rempart ultime contre les Voyageurs.

Vivre et habiter : entre code de l'urbanisme et code de la route.

En 2018, nous entamions Brichka, projet de recherche par lequel nous tentions d'alerter les pouvoirs publics sur les possibles discriminations territoriales engendrées par le renforcement des règles du contrôle technique. Les logements sur roues non homologués par la DREAL (anciennement les Mines) ayant de plus en plus de difficultés à circuler, ceci précarisait encore davantage ces travailleurs et/ou habitants mobiles en les empêchant, par exemple, de répondre à une offre d'emploi.

Après une relative disparition du zoning du vocabulaire de l'urbanisme, le voici revenu sur tous les fronts : ZES, ZFE, ZAC, etc. Autant de poches qui dérogent au droit commun. La dernière en date, la Zone à Faibles Émissions mobilité (ZFE-m), est un secteur géographique défini où la circulation des véhicules les plus émetteurs de polluants atmosphériques est encadrée, voire interdite. Un nombre important de véhicules se trouvent donc interdits dans le périmètre du Grand Paris comme dans celui de la métropole de Rouen. Déjà, de nombreuses cartes démontrent clairement à quel point c'est le parc automobile des zones urbaines les plus pauvres qui se trouve aujourd'hui interdit de territoire ! Cette discrimination territoriale prend des dimensions encore plus dramatiques quand le véhicule en question constitue tout ou partie de votre logement. Les véhicules de tractage des caravanes, souvent anciens, des Voyageurs les moins fortunés, les rendent de fait persona non grata dans le périmètre métropolitain. Et les excluent aussi de l'accès aux aires d'accueil, conditionné par le fait de pouvoir déplacer sa caravane à tout moment. De même, les personnes habitant en camion non homologués VASP ou VHL (Véhicule Habitable de Loisir -autant dire en camping-car récent et souvent coûteux), ou qui ont fait le choix d'éviter l'homologation pour ne pas se retrouver sans « toit » suite à un contrôle technique, se retrouvent elles aussi à la porte des métropoles.

Mécaniquement, la ZFE devient un outil supplémentaire et indirect d'éviction des populations mobiles. Depuis 2009, nous démontrons le caractère excluant du projet métropolitain et son obscur jeu d'attraction-répulsion des populations mobiles. Nous alertons, en vain. Et nous voyons des villes rejeter ces populations toujours plus loin à l'occasion de réaménagements urbains, d'élaborations de nouveaux règlements ou arrêtés. Nous entendons des discours de realpolitik urbaine et sociale qui s'évertuent à ignorer le réel des territoires, même quand nous leur mettons sous le nez. Nous aurons vu sur les quais de Rouen un véritable espace nomade (forains, travellers, camping-caristes, Voyageurs, etc.) faire place à une promenade. Nous avons vu les populations mobiles, réfugiées à une enjambée d'un auto-pont, être déplacées par le chantier du site d'une futur gare bien hypothétique. Nous les avons retrouvées plus loin encore. Nous entendons celles, réfugiées sur l'Île La-Croix, faire part de leurs inquiétudes. Nous avons vu et entendu les Voyageurs abdiquer, prêts à quitter le Voyage pour un habitat adapté « parce que avec le prix de l'énergie, du carburant, les amendes (quand on n'a pas trouvé de place sur des aires inexistantes ou polluées), les Zones où on peut pas rouler… Ils veulent nous interdire le Voyage ! » Que dire de tant de lucidité quand le Voyage devient l'apanage de quelques [heureux] élus ?

Et on en viendrait presque, avec William Lindsay Gresham, à rêver d'un monde dans lequel ce sont les gitans qui détiennent la clé de la survie de l'humanité, après que les Gadgé l'ont conduit à son effondrement. N'est-ce que de la science-fiction ?

Sommaire du numéro 11
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