Il n'est, paraît-il, pas de solution qui ne génère de nouveaux problèmes.
Le 12 mai 2020, le futur accostait au port du Havre sous la forme dun vieux gréement chargé de sacs de café biologique colombien. Cette opération marketing visait à promouvoir le projet de voiliers-cargos nouvelle génération de la startup bretonne TOWT.
Celle-ci prévoit, à l'horizon 2022, la construction de quatre voiliers-cargos longs de 70 mètres, d'une capacité de 1 000 tonnes, qui devraient relier le port du Havre à lAmérique du Nord, du Sud, Saint-Pierre et Miquelon ou encore la Côte d'Ivoire. Mais ce transport 100 % décarboné coûte cher : c'est pourquoi HAROPA offre une ristourne de 50 % sur la redevance des droits de port pour les futurs voiliers.
La manutention est elle aussi 100 % décarbonée. Et à l'heure du règne du porte conteneur et de la grue, c'est à dos dhomme que doit se faire le déchargement des sacs de 70kg. Attendri, le Président de l'entreprise regarde les plus anciens des dockers montrer aux plus jeunes les « gestes d'avant », ceux de lépoque où on était pas si mal payé à se casser le dos.
Mais l'obsession du carbone ne prémunit pas de tout et certains déséquilibres écologiques sont tout simplement liés à lactivité portuaire et aux chemins de la marchandise mondialisée. Même décarbonés, les « corridors logistiques » perturbent et modifient durablement les environnements quils traversent. Et ces déséquilibre perdureront bien après la disparition plus ou moins programmée de ces nouvelles routes commerciales.
Ainsi, les quatre voiliers pourront eux aussi participer à l'extension du domaine du gobies à taches noires jusqu'en Afrique et en Colombie ; du moins si la pollution y a suffisamment dégradé le biotope, comme ici. Car ce poisson issue des eaux de la mer Caspienne aime voyager dans les eaux de ballast (réservoirs deau) des navires pour coloniser les eaux des ports où ils accostent. C'est un compagnon de la mondialisation des transports marchands arrivé dans la Seine en 2015 après avoir colonisé, via la mer baltique, les ports du nord de lEurope. Très agressive, cette espèce peut évincer les poissons indigènes en mangeant leurs ufs et leurs jeunes, et contribue activement à la réintroduction, dans la chaîne alimentaire, de contaminants concentrés dans les moules zébrées (Dreissena polymorpha). Finalement, ce petit envahisseur est susceptible d'être porteur de la septicémie hémorragique virale, une maladie infectieuse causée par un virus qui peut être transmise à dautres espèces et entraîner la mort des poissons infectés. Le gobie à taches noires peut ainsi avoir des répercussions majeures sur le réseau alimentaire aquatique et la qualité de la pêche. Et aucun zoning narrêtera visiblement sa progression de l'Est à l'Ouest de l'Europe et plus loin encore.
Ses quelques centimètres et sa gueule de carnassier pourraient être les symboles de notre sort commun.
Rien ne dit cependant quil serait susceptible de sattaquer aux baigneurs de la Seine ou de la Moskova. Rien ne dit non plus quon ne finisse pas par trouver une solution.