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Depuis cette date peut-être y a t-il plus urgent que de sauver des personnages de fictions. veo sort de la fiction.
" Là où le monde réel se change en simples images, les simples images deviennent des êtres réels, et les motivations efficientes d'un comportement hypnotique. Le spectacle, comme tendance à faire voir par différentes médiations spécialisées le monde qui n'est plus directement saisissable, trouve normalement dans la vue le sens humain privilégié qui fut à d'autres époques le toucher ; le sens le plus abstrait, et le plus mystifiable, correspond à l'abstraction généralisée de la société actuelle. Mais le spectacle n'est pas identifiable au simple regard, même combiné à l'écoute. Il est ce qui échappe à l'activité des hommes, à la reconsidération et à la correction de leur oeuvre. Il est le contraire du dialogue. Partout où il y a représentation indépendante, le spectacle se reconstitue. " La société du spectacle, Guy Debord, § 18. Pourquoi depuis quatre ans travaillons-nous sur l’idée de territoire avec des personnes sans abri à Rouen ou des adolescents et jeunes adultes d’une cité d’Orléans ? Pourquoi travaillons-nous sur l’espace utopique avec des gens du voyage à Sotteville, des chômeurs et des sans logis à Rouen ? Pourquoi, enfin, travaillons-nous sur des possibilités de représenter, de parcourir ou de traverser les quartiers de Bapeaume, Dieppedalle et Croisset avec les femmes qui y vivent ou y travaillent ? Parce que nous ne croyons pas à l’existence de la ville des architectes, des urbanistes, des sociologues ou des politiques. Leurs représentations en sont les prisons. Parce que nous savons que le territoire, dont certains s’érigent parfois en défenseurs, est une invention ; la représentation admise par une communauté du terrain qu’elle occupe. Parce que cette représentation est sans cesse à réinventer, non pas sur une planche à dessin et en la mettant au vote mais, avec ceux qui vivent sur ce terrain. Parce que seul ce travail permet de remettre en cause et d’affronter un réel insatisfaisant. A l’heure où une partie de la population a fait plus que de déléguer ses pouvoirs, allant jusqu'à voter sa propre servitude, nous voulons rappeler notre rêve, celui d’une ville tendue vers le ciel comme une forêt de poings affrontant le réel. Cette ville, lieu de tous, qui se déterminerait d’elle-même, nous avons cru l’apercevoir. C’est celle de la Commune de Paris, c’est Barcelone de 1936, c’est le maquis, c’est un poème de Gatti ou de Maïakovsky, la ville en marche montée sur les charrettes de la Maknovichina dans l’Ukraine de 1917, ce sont les cercles de murs concentriques peints de toute la connaissance du monde dans la Cité du Soleil de Tommaso Campanella, c’est la théorie de l’urbanisme unitaire des situationnistes, c’est la théorie de la propriété de Proudhon, c’est le village du sous commandant Marcos. Des villes en lutte avec elles-mêmes pour grandir et faire le voyage qui devrait nous sauver de la réalité. C’est une ville en mouvement perpétuel, qui se construit et se pense elle-même avec tous ceux qui la vivent. Une ville sans despote et sans guide, champ de bataille de la lutte, à sans cesse recommencer, entre l’idéal et le réel. Notre travail nous le voulons fondamentalement politique, puisqu’il tente d’appréhender et de réinventer la polis (la cité) avec ceux qui la vivent, tachant de réintégrer de l’action et de la politique, alors que le seul acte politique reste pour beaucoup le fait de déléguer dans le secret de l’isoloir son propre pouvoir ; laissant ainsi craindre la disparition de la nécessité de penser, de co-naître son espace et la manière de l’habiter ensemble. Ce travail ne se présente jamais dans le cadre d’expositions, mais dans l’espace public afin de, sans cesse, en interroger une potentialité aujourd’hui en grand péril : la ville comme espace de liberté et des possibles. Voici pourquoi nous avons quitté nos costumes d’architectes, de comédiens, d’informaticiens ou de graphistes ; pourquoi nous avons déserté les agences, les cabinets et la fonction de fournisseurs de " nouveaux " modèles de ville et d’espace. Voilà pourquoi nous travaillons, avec les populations, à repenser et à représenter nos espaces de vie, sûrs qu’une voix ne se donne pas, mais se prend, se travaille et se porte. Alors que nous finassions une fiction que nous trouvions déjà un peu trop spectaculaire, le pire est arrivé. Quelle est la ville, aujourd’hui à réinventer, capable de résister à la haine en forme d’idéologie. Dans le travail qui nous occupe, ici, en bas de Canteleu, nous cherchons ce sur quoi bâtir cette ville résistante. Parce que le score d’un parti fasciste remet en question l’urgence d’un tel travail, nous cherchons à partir de quoi sommes-nous susceptibles de travailler aujourd’hui.
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