Première étude d'envergure sur les monstres et le monstrueux en Russie, cet essai en dévoile les sources historiques, culturelles et littéraires. On y découvre tour à tour les termes qui disent les monstres en russe – _ourod_ en est un – les mythes et légendes qui en content les aventures, l'imaginaire qui en dessine les contours visuels, les événements qui jalonnent leur parcours.

Trois moments clés révèlent la puissance symbolique des monstres en Russie : au XVIIIe siècle, la Kunstkamera, considérée comme le premier musée russe, expose des monstres anatomiques – vivants ou en bocaux – côte à côte avec des animaux exotiques et des découvertes scientifiques et techniques. Au XIXe siècle, des êtres au physique jugé monstrueux sont exhibés dans des foires populaires et autres espaces de divertissement, marquant profondément la culture citadine de l'époque.
Enfin, au tournant du XXe siècle, avec le développement fulgurant de la médecine et des sciences de la vie, le regard sur les monstres change encore : le scalpel des chirurgiens fait surgir la possibilité de soigner les anciens monstres et d'en créer de nouveaux.

L'auteure se focalise sur des années charnières de l'histoire culturelle et sociale de la Russie, à savoir le premier tiers du XXe siècle, qui revisite ce passé monstrueux. À l’heure de construire une société nouvelle, de faire table rase du passé, quel rôle les monstres ont-ils jouer face à « l’homme nouveau » et à la « femme de demain » ?
C’est à cette question que l’auteure tente de répondre, en se penchant sur des œuvres d'Alexandre Beliaev, Mikhaïl Boulgakov, Marietta Chaginian, Vladimir Maïakovski, Mikhaïl Ossorguine, Andreï Platonov, Andreï Sobol, Alexandre
Tchaïanov, Iouri Tynianov ou encore Evgueni Zamiatine.
L'extrême diversité des monstres dont témoigne la littérature de l'époque éclaire d'un jour nouveau la complexité du rapport à l'Autre dans la Russie d'hier comme d'aujourd'hui.

Annick Morard est spécialiste de littérature et de culture russe. Elle a été maître-assistante, puis chargée de cours à l’Université de Genève, et chercheuse associée à l’Institut de Littérature russe (Maison Pouchkine) à Saint-
Pétersbourg, où elle a enquêté sur les monstres et le monstrueux entre 2014 et 2016. Auteure d’un ouvrage consacré à l’émigration russe à Paris dans l’entre-deux-guerres (_De l’émigré au déraciné_, L’Âge d’Homme, 2010), elle s’intéresse également à la culture soviétique et post soviétique, aux avant-gardes littéraires et à la culture populaire.

Lundi 30 janvier 2020 à 19h dans le cadre de La Nuit des Idées