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25/07/2006
trajet : rue de Crosne / bassin Saint Gervais
voiture 30 min, marche 20 min.


Voiture en plein soleil, on emboîte sur le Mont Riboudet. Un peu d'hésitation au carrefour dans l'axe de la préfecture puis, les quais. Cette fois, vrai trouble arrivé au pied des piles blanches en construction du nouveau pont. Après un cafouillage de clignos, de manœuvres douteuses et illégales pour se mettre dans l'axe, on fonce droit sur les panneaux jaunes du chantier. Des balises et des blocs de béton tentent de signifier des couloirs de circulation. Enfin, la route familière le long des hangars rouge sale. Un coup d’œil à l'emplacement du vestiaire des dockers maintenant détruit pour laisser le passage au raccordement du pont. Et puis, le quasi cube du Chais à vin, rez-de-chaussée muré. On roule sur le bitume défoncé entre parkings et terrains vagues jusqu'à frôler le bâtiment. Droit sur les quais. Frein à main, on descend.
Stéphanie : - « ,Pourquoi ? Qu'est-ce que tu veux faire ?» ,
-- Juste prendre l'air.
J'ouvre la portière, il fait encore plus chaud dehors. Tout le monde pose le pied sur l'étendue de bitume craquelé qui recouvre l'intégralité de la presqu'île. Au milieu du vide, tout le monde semble un peu perdu. Alexia, la stagiaire en com marche les mains enfoncées dans les poches arrière de son jeans en balançant et croisant les jambes. Sur ce type de surface, on marche tout droit pour aller voir au bout, on traverse, ou on reste sur place en en faisant des tours un peu carrés sur soi-même. On regarde ses pieds et les bouts de bidules qui traînent. L'éditeur, lui, a choisi la solution ligne droite en direction du bout de la presqu'île, bien qu'il l'ignore, puisqu'il ne l'aperçoit pas encore et que c'est sa première visite à Rouen, un déplacement professionnel à la bibliothèque où il doit, tout à l'heure, consulter des documents anciens du fonds. Il voulait voir le port ; c'est en partie fait, majoritairement du vide. Stéphanie et moi sommes un peu moins désemparés, l'habitude. Dans ce genre d'endroit la seule chose à faire... Bosser, produire des représentations pour parvenir à y voir quelque chose. Elle photographie, je filme.
Debout sur la surface bitume, le Chais semble plus grand. Souvenir de mon grand-père de l'époque où l’on mélangeait ici les vins d'Algérie, quand ils étaient encore bons. À gauche du Chais, trempant dans le bassin, un bâtiment rouillé se fait découper par une poignée d'ouvriers, le reste de l'équipe sans doute remplacée par les deux grues qui semblent se déplacer toutes seules sur le pont. Je repense encore à mon grand-père (c'est mon fantôme personnel, devenu un fidèle compagnon de route) employé ici, sur le chantier naval, dans les années 30, comme mécanicien ou chaudronnier, dans la famille personne ne se souvient très bien, peut-être même pointeur. Ce dont tout le monde se souvient en revanche c'est « qu'il n'aurait jamais dû partir. Le salaire d'un capitaine quand on cumulait les heures sup !» ,. Personne ne se souvient sans doute de la fermeture des chantiers navals qui viendraient avec la crise, notre mère à tous.
Un minuscule bateau de plaisance fait des allers-retours agaçants à vive allure dans le bassin. Je parle avec l'éditeur. Je tente de lui raconter l'époque où les dockers se comptaient par milliers alors qu'aujourd'hui compter jusqu'à 80 devrait suffire. Il me parle du port de Marseille ville, où il a désormais élu domicile, et d'une personne qu'il devra me présenter, un anar qui aurait fait de l'entrisme au PCF, spécialise de l'histoire du port. Un peu trotskiste son anar.
Je filme le premier camion passant par là depuis que nous sommes arrivés. a-t-il chargé ou décharger ici ou a-t-il seulement profité du parking pour piquer un somme?
Des types montent et descendent d'un bateau de plaisance au quai.
Je lui parle de Canteleu. Je veux faire le malin avec la maison de Flaubert. Il sourit.
L'éditeur doit y aller, pas beaucoup de temps... La bibliothèque, le train pour Paris, un pot avec un copain Gare de Lyon avant de sauter dans le TGV direction Marseille. On remonte en bagnole après que, sur les conseils de Stéphanie connaissant mon obsession pour les couleurs ou plutôt la couleur (toujours une à la fois), je fasse un plan sur les cordages bleus électriques qui amarraient un pont flottant. On redémarre, se précipite sur la commande électrique des vitres pour échapper à la suffocation. On file au bout de la presqu'île pour jeter un oeil avant de partir. La voiture tente de louvoyer entre les vestiges de trottoirs et de terre plein. Un tas de sable, un minuscule bâtiment en briques délabré et on se retrouve sur une piste d'atterrissage pour hélicoptère. Au bout, au fond, à l'ombre relative d'un phare maigrichon, deux types sur des chaises de camping boivent une bière à quelques mètres de leurs batteries de cannes à pêche.
Pêcher ici ?!
Je farfouille les souvenirs à l'étage des années 70 dans la boîte « Seine et eaux salles »...
Péniches / chevalet / odeur de peinture à l'huile / voiture... R16 / pont / quai... et là... Peut-être un vague souvenir, pêcheurs taciturnes et moustache, octobre/novembre... Mais vue en plongée. Même assis sur un de ses ridicules tabourets de pêche ou sur une bite d'amarrage ça colle pas.
J'ai pas dû atteindre le mètre 50 nécessaire à ce type de cadrage avant 1986 (un retard de croissance)

Point mort, frein à main, je descends.
- Bonjour, excusez-moi de vous déranger, mais je suis surpris de voir quelqu'un pêcher dans la Seine...
- Ah vous êtes surpris vous !?
- Oui. On peut pêcher ici ?
- Oui.
- Et empêche quoi ?
- Du sandre... y a d'l'anguille aussi.
- Et le poisson est consommable ?
- Avant non. Maintenant oui.
L'autre - Bah encore heureux maintenant que toutes les usines ont fermé.
- Et là, vous péchez quoi ?
- Là, on pêche le sandre. mais aujourd'hui ça prend pas
- la chaleur ?
- Non...y a des jours
- Bon bah... Merci, bon après-midi, bonne pêche.
- Ouais. Bonne journée

Au retour on tente un travellings embarqué côté passager sur les hangars, les vieux et, plus propres, les réhabilités.

Après, je retournerais à l'atelier. Stéphanie accompagnera l'éditeur qui trouvera la bibliothèque fermée pour les vacances.



Arpenteurs : David Gaussen (l’éditeur), Alexia Langevin (la stagiaire en communication), Stéphanie Fernandez-Recatala, Stany Cambot / Photographies : Stéphanie Fernandez-Recatala / Textes et Video : Stany Cambot / DE[S]RIVE[S] est un projet sans programme de Stany Cambot produit par Echelle Inconnue. / Echelle Inconnue a reçu le soutien de la Région Haute-Normandie et de la DRAC Haute-Normandie


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